Cartographie historique utilisée à des fins non historiques
Il arrive fréquemment que la cartographie historique soit utilisée à des fins politiques, touristiques, sociales ou psychologiques. Voici  quelques cas manifestes de telles déformations. 
Cliquez sur les minicartes pour une explication

Euratlas logo
euratlas
Atlas historique
Atlas physique

en anglais
I – Terre promise
Le pays choisi est montré comme une entité éternelle et idéale, comme « il devrait être » ou comme « il devrait avoir été » sans lien démontré avec son évolution historique. Sur ce type de carte, les lignes des frontières sont généralement basées sur des frontières historiques réelles soigneusement choisies dans le cours des siècles pour correspondre à une surface idéale.

Une variante moins partiale de la
« Terre Promise » consiste à superposer sur une carte historique les frontières existantes à la date de la création de la carte.
Starajitnaia Rusi y XIII stahoddzi – L’ancienne Rus  au 13ème siècle,
de Histariitsnii Atlas Belarusi, Minsk 2004
Biélorussie
Les changements territoriaux de l’Etat polonais dans le cours de son histoire, The Historical Atlas of Poland, Wroclaw 1981, p.54 Pologne


II – Paradis Perdu
Un auteur prend la liberté de dessiner un pays fictif ou bien les « grands et idéaux » contours d'une ancienne entité, avec toutes les apparences de la vérité scientifique. Divers procédés sont utilisés. Par exemple, plusieurs petites tribus connues sont traitées comme une unité, ou alors un territoire où domine un fait culturel – industrie, langue ou religion – est considéré comme une seule entité, ou bien encore on choisit, sur 2000 ans, trois à cinq années pendant lesquelles le territoire décrit était particulièrement vaste.

Généralement, de tels ensembles politiques n'ont jamais existé ou ont existé pendant une période si courte que la carte en question apparaît comme une véritable mystification littéraire.

Le territoire celte du 5ème Siècle av. J.-C. jusqu’à la conquête romaine, de bbc.co.uk/wales website
Les Celtes
Origine et territoire des Germains en Europe centrale, de D.T.V. Atlas zur Weltgeschichte, Münich 1964
Germains
L’Empire romain dans sa plus grande extension territoriale autour de 117  ap. J.-C., Matthew-Northrup Co
Roman Empire 117

III – La maison de mon voisin
Une carte montre un pays moderne, ou une entité appréciée par l'auteur, comme un tout isolé et indépendant sans tenir compte des surfaces adjacentes ni de son évolution historique.
Sur une telle carte, les pays voisins sont dessinés comme des  « terrae incognitae » (= terres inconnues) et le dessinateur n'hésite pas à « annexer »  graphiquement de larges portions de leur territoire.

Il est vrai que certaines de ces cartes sont accompagnées d’un commentaire neutre indiquant que le dessinateur n'a pas représenté la réalité ou seulement une ancienne réalité; toutefois, le dessin peut frapper l’esprit comme le ferait un tract.


La Confédération Suisse 1291 – 1797, de Putzger Historischer Atlas zur Welt- und Schweizer Geschichte, Berlin 1981, p.III 
Switzerland 1798
La Grande Arménie au début du 7ème  siècle, de Moutafian & van Lauwe, Atlas historique de l'Arménie, Paris 2001

Greater Armenia
Les Kurdes, un peuple divisé, Le Monde Diplomatique, carte présentée sur le site: http://mondediplo.com
The Kurds


IV – Paquets d'ADN dans la steppe
Alors que la plupart des cartes historiques montrent des pays, des villes et des routes, soit des éléments factuels concrets, on trouve encore quelques cartes, souvent héritées de la cartographie du 19ème siècle, sur lesquelles l'auteur cherche à représenter des facteurs biologiques. Quelques entités humaines définies par leur ADN sont mentionnées sous le nom de « race » ou de « groupe ethnique ». Les couleurs ou le concept graphique de ces cartes sont choisis de manière à ce que le lecteur en déduise que les diverses petites peuplades représentées sont liées par une appartenance à une entité plus importante, parfois appelée « nation ».

Sauf peut-être pour la langue, la religion et les compétences techniques, il est particulièrement difficile d'établir de manière sûre l'existence de ces grandes entités. En réalité, les peuplades concernées se combattaient l'une l'autre et leur évolution dépendait d'un jeu d’alliance continuellement changeant dans lequel la langue ou la religion n’étaient pas toujours le facteur essentiel.


L’Europe et la Méditerranée en 750, Maldaque et al. nouvel Atlas d'Histoire. Bruxelles 2003, p. 48-49
europe 750
La conquête anglaise de 450 jusqu'à la fin du 6ème siècle, Hammond Historical Atlas of the World, Maplewood N.J. 1976, p. H-10

Conquête anglaise

V – Sabres & chandelles
Il arrive qu'un auteur ou un commentateur, dans l'idée d'accroître l'impact d’une carte, y ajoute  divers symboles comme des coups de crayon, des sabres croisés, des flèches, des chandelles etc. Le but est certes d’expliquer l'enchaînement de quelques événements historiques, mais  l'auteur transforme de cette manière une image descriptive en un graphique expliquant sa propre théorie sur un moment particulier de l’histoire. La plupart du temps, la lecture d'une telle carte ne permet pas de faire la différence entre les faits et les hypothèses.

La déportation des Juifs hors de l’Europe centrale, de D.T.V. Atlas zur Weltgeschichte, Münich 1964
Jews
La diffusion de la Réforme au 16ème siècle, de Duby, Atlas historique Larousse, Paris 1978, p. 60 
reformation


En examinant une carte historique, il convient de garder à l'esprit ce type de distorsions afin de le corriger mentalement. Bien souvent, l'auteur de la carte présente celle-ci comme une explication de la réalité actuelle alors qu'il s'agit d'une théorie élaborée après coup.
Contrairement à ce que prétendent ou laissent entendre leurs auteurs, de telles cartes ne constituent nullement la confirmation scientifique d'une théorie. Leur utilité ne réside en définitive que dans l'illustration d'un courant de pensée dont l'auteur est le porte-parole.



Christos Nussli